Jérôme est autodidacte. La sculpture est venue à lui comme une évidence. Moyen de communiquer ses émotions, elle est aussi cette relation forte avec le bois, la matière, la forme. Il nous livre ici son chemin qui le mène à la création, il nous fait part aussi de ses envies
et de ses doutes.
Allez ! Je vous propose de vous asseoir autour du feu et de l’écouter nous raconter, tout en buvant une tasse de café…
- "Ça fait maintenant un an que j’ai créé ce site. J’étais assez réfractaire à l’informatique au départ mais je souhaitais avoir
une vitrine. Je suis plutôt curieux de nature et j’ai appris en essayant de
comprendre "comment c’est fait", en démontant l’existant pour ensuite
remonter autre chose. J’ai un ami qui m’a donné deux trois conseils, notamment sur le référencement mais
avec Internet pour les Nuls, ça suffisait pour commencer.
- Tu me disais que ce site était une vitrine. A
posteriori tu trouves que c’est une bonne vitrine ?
- L’idée de vitrine me plaît. Le plus dur a été de rester
simple et cette histoire de simplicité, ça s’applique à tout. Ça s’applique à
la sculpture au départ. Essayer d’aller chercher l’essence, d’aller chercher
une sorte de base. Essayer de rester à l’essentiel sans trop de fioritures.
- Pourquoi c’est plus difficile ?
- Parce que la technique permet de rajouter tout un tas
de petits détails et que ce soit en sculpture ou sur le site, en définitive, à
avoir des outils on a envie de tous les utiliser et de tout mettre. J’ai eu
quelques retours du site comme "il est bien, il est simple". J’ai
compris, de par les conseils que j’ai pu lire à droite ou à gauche, que les
gens veulent arriver à l’essentiel rapidement.
Les expos c’est une meilleure vitrine encore. J’ai commencé à
faire des expos un peu avant de faire le site. Mais au départ, je ne pensais
pas faire tout ça. Ce n’était pas prévu. Au départ, je sculptais pour moi, pour
les amis, la famille. Le fait d’exposer, j’ai trouvé ça intéressant parce que
ça permet de véritables retours du public, c’est des gens avec qui il n’y a pas
d’affect. On a un retour vrai. Tant que j’étais dans le cercle restreint de la
famille et des amis, les gens disaient "oui c’est bien" mais voilà ce
n’était pas de vrais retours. Sans affect, les gens disent plus facilement ce
qu’ils ressentent tout simplement. Quelque part c’est gratifiant. Au départ je
sculptais comme ça, par plaisir, parce que depuis toujours j’ai aimé faire des
copeaux. L’expo, on rentre dans une autre dimension, on ne travaille plus pour
quelqu’un en particulier. Dans le cercle famille/amis, lorsque je commençais
une pièce je savais pour qui elle était. Dans le processus de création, la fin
de la pièce, c’était le cadeau que je faisais à quelqu’un. Le fait d’exposer
permet à la fois de créer pour soi, sans répondre à une demande spécifique,
tout en confrontant son travail au regard d’inconnus. Du coup, ça permet de
jauger un peu l’appréciation. Ce qui me plaît surtout c’est d’avoir un retour
qui peut me faire prendre conscience d’un message que je n’aurais pas créé
consciemment.
- Tu veux dire que le public va lire dans ton œuvre des
choses que tu n’avais pas projetées ?
- Voilà. Et ce qui est appréciable c’est que j’ai eu des
retours, des lectures dans lesquelles je me reconnais. Ça me correspond. Les
gens voient quelque chose que je n’avais pas réfléchi au départ et qui pourtant
fait écho à mon expérience. Je pense à la sculpture "Ange ou feu",
l’elfe. Les gens ont vu du religieux alors que pour moi, ce n’étais pas le cas.
C’était au contraire très païen. Et en fait ça recoupe mon vécu, j’ai été
enfant de chœur très longtemps et j’ai donc baigné dans le milieu religieux et
j’imagine que cette marque de la religion ressort dans mon travail sans que je
le veuille vraiment car je ne suis pas croyant.
- Tu disais que tu as toujours aimé faire des copeaux.
Comment ça t’es venu la sculpture ?
- J’ai un grand-père qui avait toujours un opinel dans la
poche, qui avait une vigne, qui s’occupait de sa vigne, qui aimait les arbres,
qui m’emmenait me promener dans les bois et qui taillait une branche, il se faisait
une canne avec... Tout gamin, à 8 ou 9 ans, j’ai eu mon premier opinel et j’ai
fait comme mon grand-père. J’ai taillé un bâton que je commençais à décorer,
avec des spirales, des motifs… Mon père avait un atelier, un établi, 2 ou 3
ciseaux à bois…et j’aimais mettre un
morceau de bois à l’étau, puis faire des copeaux, je faisais des coques de
bateaux. Plus tard, ado, avec mon opinel, j’ai commencé à faire une tête, une
sorte d’autoportrait. J’ai fait des petites têtes naïves. Le déclencheur, j’avais
20 ans passé, ça été une revue dans laquelle je vois un départ de rambarde
d’escalier. Une poutre sculptée avec un homme assis dans cette poutre. Ça été
comme une révélation. Je suis rentré chez moi, je n’ai quasiment pas dormi de
la nuit. C’était parti, j’étais en train d’imaginer ce personnage dans cette
poutre et voilà, je partais d’une poutre brute et j’essayais d’imaginer ce
personnage qui en sortait. Et après cette nuit, j’ai été m’acheter une poutre
en chêne. J’ai emprunté la tronçonneuse de mon oncle et j’ai attaqué cette
poutre avec un marteau, un ciseau à bois et j’y ai passé des heures et des
heures et 13 ans après… elle est toujours pas finie. Je me suis un peu épuisé
dessus. Voilà, ça a été le point de départ.
- La sculpture ça représente quoi pour toi ?
- La sculpture, c’est comme apprendre à lire le bois. On
apprend à lire dans le bois, c’est un apprentissage. Pour moi c’est un moyen
d’expression. Ça permet de ressentir le fait qu’il y ait quelque chose qui
sorte et c’est pas évident. C’est pas évident d’arriver à exprimer quelque
chose qu’on ressent. C’est pas évident par la parole et pour moi ça l’est un
peu plus grâce à mes mains. Les mains s’expriment.
- Tu exprimes quoi ? J’ai vu des choses bien
différentes : un tableau, des bustes, un elfe, un christ, une tête…. Et
aussi du tournage…
- J’ai commencé par les bustes-tronc. J’ai été
célibataire longtemps et, le premier buste, je l’ai fait sans modèle. Je l’ai
fait avec une idée, une image de ce que pouvait être la femme. Ça ne reflète
pas la réalité, c’est du ressenti, c’était mon imaginaire, c’était aussi une
façon de se faire plaisir et la sculpture, pour être appréciée, demandait
presque plus un rapport tactile qu’un rapport visuel. On a envie de le toucher,
de suivre ses courbes avec ses mains. Aujourd’hui, je travaille plutôt sur les
têtes avec cette idée de ne pas coller à la réalité mais d’aller chercher les
traits caractéristiques d’un visage. Par certains traits on reconnaitra une
expression.
- Est-ce qu’il y a un lien, pour toi, entre toutes tes
réalisations ? Comment est-ce que tu définirais ta démarche ?
- Il n’y a pas de lien forcément, je veux juste exprimer
ce qu’il y a en moi. Le tableau "Tempête" c’est un peu ce que je
ressentais à un moment de ma vie, je me sentais balloté par la vie. Il y a des
parties en bois sculptées et c’est sur une base peinte. Je n’ai pas du tout de
formation en peinture mais j’étais dans un état second. Une sorte de transe,
une transe naturelle. J’ai réussi, je ne sais pas trop comment, j’ai réussi à
tout lâcher, ça c’est fait assez vite. Ça représentait un état d’esprit.
Le Christ "A son
image", exprime l’idée du croyant selon laquelle Dieu à créé l’homme à son
image et moi je trouve que l’homme il n’est pas terrible… c’est peut-être tout
simplement l’homme qui a fait Dieu à son image, donc pas terrible non plus… Il
y a une ambigüité que je souhaitais exprimer. Ce tableau est chargé de
symboles. Dans la couronne d’épines, il y a sept épines, les 7 péchés capitaux,
3 incrustations pour exprimer la trinité, quatre autres petites pour les 4
évangiles…J’aime bien les symboles, tout le monde peut s’amuser à les traduire,
à les repérer et puis j’aime jouer avec les symboles en les détournant de leur
sens premier. Là c’était une symbolique religieuse mais sur le tableau "Tempête"
c’est une toute autre symbolique, plus personnelle, avec deux espèces de
personnages un peu flous qui s’éloignent et qui représentaient un moment
d’agitation dans ma vie où je ne savais pas si je partais, si je restais…
Dans
les bustes au contraire, il n’y a pas de symboles, le rapport est plus direct,
on a une relation directe à l’œuvre. C’est marrant parce que pendant les expos,
selon l’endroit où l’on expose, les gens ne s’approchent pas trop, ils
hésitent, ils tournent autour… Lors d’une exposition en galerie, les gens ont
tendance à vouloir toucher sans oser quand même et, quand ils sont autorisés,
c’est intéressant de voir leurs réactions. Il n’y a plus de distance. L’expo
est créatrice d’émotions, c’est direct. Peu importe que le retour soit positif
ou négatif.
- Tu es autodidacte mais quel regard tu poses sur ton
travail après coup ? Est-ce que tu es content de toi ? Comment ça se
passe ?
- Non, il est rare aujourd’hui que je finisse une œuvre
complètement satisfait. Chaque œuvre est le maillon d’une chaîne. Si j’étais
totalement satisfait je n’aurai pas matière à continuer, je crois. C’est un peu
comme si chaque pièce devenait le terreau de la suivante.
- Le bois, comment tu le choisis ? Comment tu te le
procures ?
- La matière première venait de la vigne de mon
grand-père, une vigne qui est devenue un verger. Du noyer, du noisetier, du
pommier, de l’abricotier… l’approvisionnement vient de là. Il vient aussi des
amis ou encore lors des balades, en forêt, en bord de mer, là c’est la
surprise. Au détour d’un chemin ou sur une plage, on peut trouver des morceaux
de bois et c’est peut-être les plus intéressants car ce sont des bois qui ont
souffert. Le meilleur souvenir c’est "Vénus sauvée des eaux" qu’on a
trouvée avec mon amie en se baladant sur une plage un soir. A une cinquantaine
de mètres, on a vu ce morceau de bois qui sortait du sable. Déjà il y avait la
courbe des reins, du buste, qui en est sortie.
- Tu veux dire que la sculpture existait avant même que
tu aies touché le bois. C’est ça que tu appelles "lire dans le
bois" ? C’est toujours comme ça, c’est toujours le bois qui
décide ?
- Non mais je dois avouer que si le bois ne décide pas,
généralement c’est plus difficile et parfois moins bon. Le dernier buste que
j’ai fait "Tronc chocolat", le bois était pas suffisamment abîmé, il
commençait à l’être mais pas suffisamment abîmé pour me guider. C’est moi qui
ai dû aller chercher les formes et j’avoue que j’y reviendrai un jour ou
l’autre. Ce buste-là n’est pas fini, peut-être un peu trop lisse… L’idée c’est
donc de trouver du bois abîmé. Un bois qui commence à pourrir, il a plus de
potentiel qu’un bois trop propre, qu’un bois de menuisier. Je suis un
anti-menuisier, tout ce que le menuisier refuse c’est bon pour moi.
- Il y a des bois dans lesquels tu ne peux pas
sculpter ? Il y a peut-être des bois trop tendres, trop durs…
- Non, je peux tout sculpter mais par contre, oui, un
bois trop tendre … bizarrement c’est plus difficile à travailler parce qu’on va
vite. L’avantage du bois dur c’est qu’on a le temps de voir, d’imaginer le
résultat final. On a le temps de le chercher. Un bois tendre, il faut savoir
très vite où on va. La "Vénus sauvée des eaux", elle était tellement
abîmée que j’ai mis quatre fois moins de temps que pour les autres bustes parce
qu’il n’y avait pas de résistance mais tout était déjà là. Je me plais à dire
que je ne l’ai pas sculptée, je l’ai nettoyée.
- Tu fais aussi du tournage. Quelle est alors la
différence par rapport au bois ?
- Le tournage, j’y suis venu plus tard, j’avais déjà
quelques sculptures à mon actif, j’avais déjà l’outillage nécessaire et mon
atelier. Le tournage, l’idée que j’en avais, c’était pour faire quelque chose
entre-pointes, pour réaliser quelque chose de long et de fin comme des
balustres d’escalier par exemple. Et ça, ça ne m’intéressait pas forcément.
C’est le jour où j’ai découvert qu’on pouvait tourner des pièces de grand
diamètre mais de faible hauteur que je m’y suis intéressé. C’est le côté
artisanat qui m’a plu parce que j’ai fabriqué un peu de mobilier et j’aime bien
le côté artisan, manuel. Le tournage, c’est en fait un savant mélange entre
l’artisanat et la création. D’ailleurs, on appelle ça "artisanat
d’art". C’est de l’artisanat car il faut respecter certaines règles que
l’on n'a pas forcément en sculpture. On a des contraintes techniques imposées
par l’utilisation des outils. Les outils doivent être utilisés d’une certaine
manière, si on les utilise mal on risque d’abîmer la pièce de bois et ça peut
devenir dangereux. Une pièce de bois a déjà traversé l’atelier parce que
justement, je tenais mal mon outil, il a planté dans le bois qui s’est décroché
du mandrin, il a sauté et a traversé l’atelier.
- Tu préfères quoi, le tournage ou la sculpture ? Tu
es à l’aise pour les deux ou en fin de compte…
- Alors… La sculpture va demander un engagement beaucoup
plus poussé dans le sens où la forme doit être dans la tête, il faut y penser
pendant un moment, elle va m’obséder pendant plusieurs jours, voire plusieurs
semaines. Ça va presque être douloureux parce que c’est une manière de
s’exprimer et pour moi, s’exprimer, sortir ce que l’on a en soi ce n’est pas
évident. Oui la sculpture, quelque part, il y a une sorte de souffrance parce
qu’il faut sortir du confort. Le tournage sur bois, lui, il est justement un
peu plus confortable dans le sens où je pars avec une idée un peu
générale : un plat, une assiette, un bol, un pied de lampe… C’est en fait
plus facile. Une pièce sur le tour à bois, généralement, je la commence et je
la finis dans la journée. Ça va me prendre parfois 8 heures, parfois 10 heures
mais c’est d’un trait. C’est un peu obligatoire car une fois que la pièce de
bois est tournée, le bois continue à vivre. Il va subir des déformations. Ces
déformations peuvent être intéressantes dans le sens où ça crée à la fois
l’originalité et l’unicité de la pièce mais je ne peux quand même pas attendre
pour la finir, car elle bouge très vite. Le tournage, c’est lorsque j’ai envie
de me faire plaisir et ça se fait sur une journée tandis qu’une sculpture c’est
une quarantaine d’heures de travail que je vais étaler sur un mois. Pendant un
mois, je vais être habité par ce projet.
- Dis-moi, tu penses être influencé par d’autres
artistes ? Il y a des gens que tu "utilises" pour ton travail,
j’ai envie de dire ça comme ça…
- J’ai commencé à sculpter sans avoir lu ni étudié, j’ai
commencé à sculpter seul. Petit à petit, je me suis documenté et ça m’a permis
d’exprimer une envie que je n’arrivais pas à concrétiser. Par exemple, certains
sculpteurs, comme Moore et Pérot, ont travaillé l’idée de rechercher la
transparence plutôt que la matière, cette idée qui fait naître l’abstraction me
parle vraiment même si je ne l’ai pas vraiment appliquée mais disons que c’est
ce vers quoi je souhaite aller. Je regarde aussi ce qui a été fait fin 19ème
avec Rodin… En fin de compte, le fait de me documenter, ça va me permettre de
visualiser des choses dont j’ai envie, des choses que je ressens."